Le 26 avril à Strasbourg au Palais des droits de l’homme s’est tenu une rencontre à laquelle ont participé le Président de la Cour européenne des droits de l’homme Guido Raimondi, le greffier de la Cour Roderick Liddell, le rédacteur en chef de la revue « Droits de l’homme. Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » Vitaly Portnov et la rédactrice du développement Anastasia Abakumova.

À l’occasion de l’expiration de son mandat, à compter du 5 mai 2019, Guido Raimondi sera remplacé par Linos-Alexandre Sicilianos, vice-président de la Cour et juge élu au titre de la Grèce. Néanmoins, le juge Raimondi a aimablement consenti à continuer à coopérer avec le projet d’édition de l’Encyclopédie de la Cour européenne en tant que Président du Conseil scientifique (avec le Président de la Cour Suprême de la Fédération de Russie V. Lebedev), et cela nous apprécions sincèrement. Nous attirons votre attention sur les moments les plus importants de cette réunion.


V. Portnov: Alors, disons que, j’ai une question qui a pour conséquences de façon logique la deuxième question : j’en ai déjà discuté avec Anastasia, qui va vous poser ces questions.

A. Abakumova: Notre première question: comment envisagez-vous l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme?..

G. Raimondi: Est-ce que je peux à la fois connaître la deuxième question? Je suis curieux de savoir.

A. Abakumova: Nous sommes intéressés par votre évaluation de notre travail conjoint sur l’Encyclopédie de la Cour européenne.

G. Raimondi: Ah, pas de questions difficiles!

V. Portnov: Nous ne vous limitons pas à ces questions. Si vous voulez ajouter quelques choses, ce sera formidable.

G. Raimondi: D’accord, merci!

En ce qui concerne l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, je peux dire que pendant trois ans et demi de mon mandat de président, j’ai attribué une haute priorité à la coopération de la Cour avec les tribunaux nationaux.

La Cour s’efforce d’être toujours plus efficace, sous la direction de notre greffe et notre greffier, et d’utiliser des méthodes de travail toujours plus perfectionnés.

Donc nous essayons, en particulier, de faire face aux contraintes budgétaires qui existent maintenant. Mais nonobstant cela nous pensons, que la Cour et la Convention auront un avenir décent, si l’application de la Convention à l’intérieur des états contractants occupe également une place relevant. C’est pour ça que j’ai porté une grande attention à la coopération avec les tribunaux nationaux.

Vous savez que dans ce contexte il y a deux instruments très importants: d’une part, le réseau des cours suprêmes européennes qui est un outil d’échange et de coopération entre la Cour de Strasbourg et les tribunaux nationaux.

D’autre part, il y a le Protocole n° 16, qui fournit, si on peut dire, un cadre institutionnel de la coopération entre la Cour de Strasbourg et les tribunaux nationaux.

Le Protocole n° 16 permet aux juridictions nationales d’adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur l’interprétation et l’application de la Convention dans des cas spécifiques. Il est entré en vigueur au mois d’août de l’année dernière et a été déjà appliqué une fois dans le cadre d’une demande de la Cour de Cassation de France à laquelle la Cour européenne a déjà répondu le 10 avril 2019. Donc voilà les deux axes de notre coopération avec les tribunaux nationaux, tout cela est extrêmement important. Ainsi il est essentiel d’installer et de développer un climat de confiance entre la Cour européenne et les juridictions nationales, notamment les cours constitutionnelles et les cours suprêmes.

En effet on peut constater — et cela encourage certaine optimisme — que bien que la situation avec les commentaires plutôt politiques à l’égard de notre jurisprudence, donne un peu l’impression d’une critique croissante de la Cour européenne, mais, en revanche, on peut constater qu’il y a un échange dynamique et continue et une mise en place des valeurs exprimés dans notre jurisprudence et dans la jurisprudence des tribunaux nationaux.

Je trouve que ce soit une tendance très positive. Et donc c’est sur cette note d’optimisme que je quitte la Cour. 

La Cour européenne des droits de l’homme

C’est pour cela que j’estime que la Cour — nonobstant les contraintes budgétaires et le climat politique parfois difficile — dispose de tous les instruments nécessaires pour travailler et se développer de manière tranquille.

C’est ma réponse à la première question.

En effet, la deuxième question découle de la première et là c’est l’occasion de vous exprimer ma reconnaissance : je sais que vous avez contribué personnellement à la diffusion des connaissances de la Convention et donc de la jurisprudence de la Cour européenne dans le système juridique russe, en particulier au stade de la formation des juges, ainsi que d’autres professions juridiques.

Bien évidemment que sans coopération avec les hautes juridictions d’état, le projet ne serait pas aussi significatif.

Le travail commun dans l’esprit des valeurs de la Convention avec le Président de la Cour Suprême de la Fédération de Russie, V. Lebedev — qui est également Président du conseil scientifique de l’Encyclopédie — est bien connu et très apprécié ici.

L’Encyclopédie est un projet non seulement louable.

Il vise à la diffusion de la connaissance de la Convention et de la jurisprudence de la Cour et par conséquent à la bonne application de tous les droits de l’homme et toutes les libertés stipulés dans la Convention à l’intérieur d’un système national d’un pays aussi vaste que la Fédération de Russie. Donc, je ne peux qu’encore une fois exprimer mon admiration pour cette idée et, partant, pour l’Encyclopédie — le projet auquel vous avez donné la vie.

Si je peux ajouter, lorsque qu’on parle de la Fédération de Russie, j’ai évoqué ce point à l’occasion de mon discours pour l’ouverture de l’année judiciaire de la Cour européenne en janvier 2019, car il y a maintenant de grands débats qui ne concernent pas directement la Cour, il s’agit plutôt des débats politiques sur la possibilité que la Fédération de Russie quitte le Conseil de l’Europe et par conséquent la Convention, comme vous le comprenez ces deux questions sont liées. Et lors de cette audience solennelle j’ai dit qu’il serait vraiment dommage si la population russe serait privée de la possibilité d’utiliser la Convention européenne des droits de l’homme pour protéger ses droits. C’est regrettable du point de vu de la Cour. J’ajouterais que pour les autorités de tout État en Europe — et la Fédération de Russie ne fait pas l’exception — la Convention et par conséquent la jurisprudence de la Cour européenne sont des facteurs de modernisation très puissants.

V. Portnov: Suite à vos propos, je ne sais pas si vous avez vu, dans le numéro d’avril nous avons publié un discours prononcé par le Président de la Cour Suprême de Russie, Vyacheslav Lebedev, lors de la présentation de l’Encyclopédie.

Il me semble que le Conseil scientifique de l’Encyclopédie de la Cour européenne, aussi bien établi au tout début du travail sur le projet, devrait continuer à fonctionner dans la même composition.

G. Raimondi: Merci beaucoup.

V. Portnov: Les premiers restent toujours les premiers. Cela s’applique pleinement à Monsieur Liddell. Car sans le soutien des spécialistes de la Cour, nous aurions probablement fait quelque chose de toute façon, mais la mise en oeuvre du projet n’aurait guère été aussi complète et riche qu’elle semble aujourd’hui.

G. Raimondi: Bien évidemment, je vais quitter le poste de président, mais le lien avec le greffier est toujours très fort et je continuerai à promouvoir cette initiative. 

R. Liddell: Comme je l’ai dit hier, le lien avec la maison d’édition « iRGa 5 » est devenu une partie de l’héritage d’Erik Fribergh, l’ancien greffier de la Cour.

G. Raimondi: Parfait.

V. Portnov: Je vous suis très reconnaissant. Il est nécessaire que notre projet continue. L’Encyclopédie rassemble de tels documents, qui pourraient non seulement être oubliés, mais peut-être même pas connus. J’espère que cette édition paraisse dans des bibliothèques de chaque Etat membre du Conseil de l’Europe et, probablement, contribue à la diffusion des connaissances sur les droits de l’homme et à la protection de ces droits en dehors de l’Europe. L’Encyclopédie vise à compléter et cristalliser la compréhension de la valeur de la Convention, et vise également à marquer l’importance et la nécessité du travail que nos prédécesseurs ont commencé, créant ainsi l’ensemble du mécanisme unique de protection des droits de l’homme.

Et je crois certainement que cela ne peut pas être le mérite d’une seule personne. Je parle de mes camarades et mes amis, dans mon propre pays ainsi qu’à l’étranger, avec qui nous avons initialement inventé ce projet. On ne peut pas dire que cette idée, du moins dans son incarnation particulière, appartienne à une seule personne. 

C’est un autre pas nécessaire, même petit, qui permettra aux gens de cultiver l’idée de la liberté individuelle, la sensibilisation à leurs droits, et de leur communiquer les buts et objectifs de la Convention.

De l’Encyclopédie de la Cour européenne

G. Raimondi: Puis-je poser une question : est-ce que l’Encyclopédie sera disponible dans le marché? Y a-t-il déjà un retour financier, nous sommes curieux de savoir si le projet est soutenable?

V. Portnov: Hier, nous avons discuté de cette question avec M. Liddell. L’Encyclopédie peut intéresser principalement les tribunaux russes, les procureurs, les autres autorités chargées de l’application du droit, les institutions scientifiques et éducatives, en général : un éventail assez large des spécialistes, pas seulement russes. Sa distribution sera effectuée par abonnement auprès de la maison d’édition, afin d’éviter une charge de prix excessive.

C’est-à-dire que l’Encyclopédie sera distribuée conformément à des accords concrets et à des demandes personnelles. Dans la perspective une version électronique sera créée.

Cette année, nous devons publier quatre volumes de différentes sections. Le premier volume, déjà publié et présenté à la Cour européenne, comprend des documents historiques ; le deuxième volume est scientifique, il sera ouvert par un article du Procureur général de la Fédération de Russie, Yu. Chayka ; le troisième volume incorporera les premiers précédents de la Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne ; le quatrième volume comprendra la deuxième édition du livre de Jean-Paul Costa « La Cour européenne des droits de l’homme. Des juges pour la liberté » et sa traduction en anglais, la langue dans laquelle cet ouvrage n’a pas été traduit jusqu’à présent.

D’ici à la fin de 2021, nous espérons publier jusqu’à 15 volumes de différentes sections de l’Encyclopédie.

G. Raimondi: C’est impressionnant!

V. Portnov: Nous serons heureux si tout se passe bien.

G. Raimondi: Très bien.

V. Portnov: Je suis reconnaissant à vous et à Monsieur Liddell, pour le travail conjoint que nous avons commencé et il est important, que ce travail se poursuive, quels que soient les personnes s’occupant de ce projet, de votre côté ou de notre côté. C’est une chose importante et nécessaire, que nous devons mener à son terme logique, même si j’espère qu’elle n’ait pas son final réel.

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A. Abakumova: Monsieur Raimondi, nous vous remercions de nous avoir donné la possibilité de discuter à nouveau de questions qui intéressent les lecteurs de notre revue et nous espérons que notre coopération se poursuivra.